Liam, Julien, Samia et les autres
Dernièrement, avec une collègue enseignante, nous avons eu un gros débat sur l’opportunité d’offrir ou pas un cadeau à nos élèves. La déontologie s’en est mêlée et nos échanges, ponctués d’arguments plus recevables les uns que les autres, ont donné le jour à des débats fort enrichissants. Remuée par cette discussion, je déboulai au domicile et c’est avec mon mari éducateur, qu’un nouvel éclairage ne fit que me laisser encore un peu plus perplexe.
La vie nous joue des tours et, quand nous sommes ouverts à ses clins d’œil, elle répond parfois à nos questions. Bien prétentieux qui peut dire ce que provoquera notre geste ou notre parole. Là où nous pensions échouer, où laisser indifférent notre interlocuteur, la vie trouve parfois des chemins et donne un sens inattendu à nos actions. La semaine dernière…
« Je l’ai toujours le livre! ».
C’est Liam qui me parle. Il vient de se planter devant moi. C’est un grand gaillard qui me dépasse maintenant d’une tête. Voilà au moins quatre ans que je ne l’ai pas vu, je l’avais presque oublié. Nous
avions travaillé ensemble pendant deux ans, période qui avait été une succession d’espoirs et de déceptions… j’ai cru jusqu’à la fin de mes interventions que je parviendrais à briser l’armure qui l’empêchait d’apprendre malgré des compétences cognitives certaines…, mais j’avais échoué. Sa lecture était restée très hésitante et trop laborieuse pour que Liam ait eu envie de poursuivre ses efforts. Nos chemins s’étaient séparés et je ne m’attendais pas à le retrouver dans ce collège où j’intervenais pour un autre élève.
Me voyant dans la cour, il avait couru vers moi et ses premiers mots, plutôt qu’un banal bonjour, avaient été de me dire qu’il avait toujours le livre… Je n’avais aucune idée du livre dont il parlait. Car des livres, j’en ai offert des dizaines depuis que je travaille. Parce que la lecture a été dans ma vie une source de bonheur intarissable, j’ai tenté de faire partager à ceux que j’aimais cette passion. Et nombre de mes élèves ont reçu des BD, des revues, des encyclopédies, des romans…
Je me souviens de Julien. C’était la veille des vacances de Noël, il y a bien longtemps. Nous avions avec mes collègues de l’époque, décidé d’offrir à chacun des jeunes de notre dortoir une bande dessinée de Gaston Lagaffe. J’avais mis beaucoup de temps à emballer les cadeaux et à écrire un petit mot personnalisé à chacun. Et je revois Julien devant sa BD, surpris, ébahi même et nous disant, le visage grave du haut de ses douze ans : « Je n’ai jamais eu un beau livre comme ça moi ».
Ça m’avait fait chaud au cœur tout autant que ça m’avait peinée. Son premier livre à douze ans… j’avais du mal à imaginer qu’un enfant ait pu grandir sans goûter au plaisir que procurent les mots.
Hier, je suis allée acheter Harry Potter à l’école des sorciers. J’ai hâte de le donner à Samia, laquelle a vu tous les films du petit sorcier qu’elle adore. Il faut dire qu’elle aussi a vécu des grands malheurs durant son enfance, elle aussi vit loin de sa maison, elle aussi se sent bien seule avant de
s’endormir. Alors si Harry peut l’aider à traverser, au moins pour quelques heures les épreuves auxquelles elle est confrontée, je revendique mille fois le droit de lui offrir ce livre. Et tant pis si d’aucuns pensent que cela ne fait pas partie de ma mission d’enseignant. Cela est vrai d’ailleurs, mais j’ai envie de croire que ça fait partie de ma mission d’être humain.
Qui sait l’importance d’un livre, d’un cadeau dans la vie d’un enfant?
Liam n’a pas oublié, peut-être que Julien non plus, peut-être que Samia se souviendra…
Et je remercie quant à moi la maîtresse qui m’a appris à lire, merci, maman.
L’auteure est enseignante auprès d’enfants en situation de handicap dans la région Grand Est, en Haute-Marne, France.
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